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7 mai 2019 2 07 /05 /mai /2019 09:46

QUELQUES PRÉCISIONS POUR UNE CÉLÉBRATION

 

Par ORUNO D. LARA

CERCAM (CENTRE DE RECHERCHES CARAÏBES-AMÉRIQUES)

14 avril 2019

 

Ce mois d’avril, à Paris, se joue en coulisse, pour l’historien, un spectacle virtuel qui remonte à 1848. Le 27 de ce mois d’avril, une commémoration s’annonce en France et dans ses possessions outre-mer : la signature des décrets d’abolition de l’esclavage.

En effet que célèbre-t-on en mai dans les îles : Martinique, 22-23 ; Guadeloupe, le 27 ?

Soyons précis et relisons les Procès-Verbaux du Gouvernement provisoire :

À la « Séance du jeudi 27 avril 1848, à 2 heures, (quatorze heures), au ministère des Finances, sous la présidence du citoyen DUPONT (de l’Eure),

Présents : membres du Gouvernement provisoire, les citoyens DUPONT (de l’Eure), ARAGO, Armand MARRAST, CRÉMIEUX, FLOCON, GARNIER-PAGÈS, LAMARTINE, Louis BLANC, MARIE ; PAGNERRE, Secrétaire général ;

Ministres : les citoyens BETHMONT et CARNOT ».

Après avoir voté le premier décret qui concerne la suppression des « conseils coloniaux de la Martinique et de la Guadeloupe, de la Guyane française et de l’Ile de la Réunion, et les conseils généraux du Sénégal et des établissements français de l’Inde…ainsi que la suppression des fonctions de délégué des colonies… », le Gouvernement provisoire décrète :

« Art. 1er . – L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres seront absolument interdits.

Art. 2. – Le système d’engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.

Art. 3. – Les gouverneurs ou commissaires généraux de la République sont chargés d’organiser la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l’île de la Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte occidentale d’Afrique, à l’île Mayotte et dépendances, et en Algérie.

Art. 4. – Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines criminelles ou correctionnelles (Sic), pour des faits qui, de la part d’hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.

Art. 5. – L’Assemblée nationale règlera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons.

Art. 6. – Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l’Inde seront représentées à l’Assemblée nationale ». (…)

« La séance est levée à 6 heures et demie », c’est-à-dire à 18 heures 30.

Nous savons grâce à des investigations personnelles, que deux membres du Gouvernement provisoire, CRÉMIEUX et MARRAST, n’avaient pas signé les décrets le 27 avril. Finalement, CRÉMIEUX signa le document, le 3 mai et MARRAST attendit le 4 septembre pour se joindre aux autres. ARAGO révélait : MARRAST fait des objections. PAGNERRE était chargé de déterminer MARRAST à ne pas « nous entraver » ou d’obtenir l’insertion au Moniteur sans son accord, le lundi 1er mai 1848, au soir.

Ce décret a été publié par Le Moniteur, 2 mai 1848, avec ces considérants :

« Que  l’esclavage  est un attentat contre la dignité humaine…

Qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité ».

Les commissaires généraux de la République PERRINON et GATINE prirent la mer à bord du vapeur Chaptal avec les décrets d’avril 1848 « le jeudi 11 mai à quatre heures et quart de l’après-midi » (lettre de PERRINON au ministre, Fort-de-France, 9 juin 1848).

 

Toutes ces lignes historiques sont tirées des Procès-Verbaux du Gouvernement Provisoire…(Paris, Imprimerie Nationale, 1950). Antoine-Laurent PAGNERRE (1805-1854), ami de GARNIER-PAGÈS et d’Armand MARRAST, nommé secrétaire général du Gouvernement provisoire le 29 février 1848, rédige les procès-verbaux des séances. C’est lui qui signe, avec le président DUPONT (de l’Eure), le procès-verbal de la séance du 27 avril, adopté après lecture au début de la séance du 28 avril 1848, vers 3 heures (15 heures), au ministère des Finances.

Pour ceux qui voudraient approfondir leurs connaissances, une lecture recommandée : ORUNO D. LARA, LA LIBERTÉ ASSASSINÉE, Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion en 1848-1856 (Paris, L’Harmattan, 2005).  

 

Les décrets du 27 avril 1848 clôturent ainsi la première étape d’une histoire qui a débuté au XVIIe siècle, - en 1635 pour la Guadeloupe et la Martinique - et qui poursuit son long cours jusqu’à nous après plusieurs autres escales. Ainsi le mois de mai dans les deux colonies insulaires se couvre de fleurs et de larmes.

Les cérémonies de 2019 doivent tenir compte des années de guerre : 1914-1918 et 1939-1945, ainsi que de la loi de départementalisation du 21 mars 1946, sans oublier les manifestations de résistance et la répression coloniale inextinguible.

Pendant longtemps, l’historien a été le seul à connaître la vérité de ces décrets d’émancipation. Le seul à dénombrer les décrets d’avril 1848, à les peser, à les étudier… Bref, le seul à s’en souvenir. Les populations colonisées se construisaient dans l’oubli. Les gouvernements français successifs, depuis 1848, préféraient préconiser le silence, l’oubli.

Le général RICHEPANSE, pouvait tranquillement dormir dans sa tombe placée au cavalier du fort de Basse-Terre depuis 1802, sans que nul individu du voisinage ne sache qu’il avait été l’artisan, sous les ordres de BONAPARTE, du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe en 1802. L’esclavage passait aux oubliettes de l’histoire.

Qui a été esclave, se demande Thérèse Parise BERNIS, une femme noire originaire de Pliane (Gosier, en Guadeloupe) née vers 1920, dans un livre d’entretien, Parise. Souvenirs encombrants de la Guadeloupe (Éditions Ramsay, Paris, 1997). Que dit-elle : « en mai au moment de la fête de l’abolition de l’esclavage mais ça ne m’a jamais rien dit d’y aller et je n’ai aucune idée du sens de cette fête. On m’en a vaguement parlé, c’est tout » (page 245).

Qu’en est-il des citoyens de Guadeloupe, de Guyane ou de Martinique en mai 2019 ?

La réponse à ces questions qui associent esclavage, oubli, liberté, domination, exploitation et colonisation / assimilation, ne relève pas de l’historien.

Car l’historien n’est pas celui qui sait, mais celui qui cherche, dit le Sage.

Combien d’historiens croyant savoir, se mettent au service du pouvoir et opinent du bonnet ?

Combien de spécialistes cherchent à comprendre l’enchaînement de l’Histoire ?

D’un côté la certitude, la jactance, la morgue, la suffisance, la paresse, la parade, la bêtise, la veulerie, la tromperie, l’ignorance des charlatans…

De l’autre, le courage, la curiosité, la simplicité de ceux qui s’investissent toute une vie dans une investigation de longue haleine…

Le comportement des populations insulaires (Guadeloupe et Martinique) qui commémorent ces journées de mai 2019 relève de leur prise de conscience politique de l’Histoire.

 

 ORUNO D. LARA (CERCAM) - 14 avril 2019

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