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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 13:49

 

UN MODELE EXEMPLAIRE DE COLONISE : MORTENOL, 1856-1930

 

 

Utilisons son patronyme hérité de l’émancipation de 1848 portant la marque nominale des deux maîtres de son père André. Le véritable officier, marin et artilleur, se prénomme Eugène, André, né en 1856. Son frère Sosthène, Héliodore, Camille, né en 1859 meurt à Pointe-à-Pitre en 1885, à l’âge de 25 ans. La tombe du commandant MORTENOL au cimetière de Vaugirard ne révèle rien de cet imbroglio.

Je viens de l’apprendre ce lundi 19 novembre 2018 : jeudi 22 novembre, vers 18 heures, un « Ravivage de la flamme à l’Arc de Triomphe, sur le tombeau du Soldat inconnu » sera dédié à MORTENOL. La Ville de Paris est à l’origine de cette initiative. Chaque année paraît-il, elle célèbre un soldat venant des Colonies, mort pour la France, au champ d’honneur. En 2017, un soldat Kanak, WATABE, a bénéficié de cette réanimation de la flamme.

Des journalistes ont cherché à me rencontrer, ayant obtenu le numéro de téléphone du CERCAM communiqué par mon éditeur. Me jugeant disent-ils « incontournable » - un terme que j’abhorre - ils voudraient que je leur parle du personnage que l’on honore le 22 novembre.

J’ai publié en effet quatre ouvrages, quatre études historiques traitant de MORTENOL, dont deux gros volumes (668 p. et 443 p.).

La première publication, dans le cadre des travaux du CERCAM, se présente sous la forme d’une brochure mise en vente en 1985 qui exploite son dossier personnel sous le titre :

 

ORUNO D. LARA

LE COMMANDANT MORTENOL

UN OFFICIER GUEDELOUPÉEN DANS LA « ROYALE »

CERCAM (1985)

 

et trois livres fondés sur des archives diverses aux éditions l’Harmattan :

 

ORUNO D. LARA

MORTENOL OU LES INFORTUNES DE LA SERVITUDE (2001) ;

 

ORUNO D. LARA

CAPITAINE DE VAISSEAU MORTENOL

CROISIÈRES ET CAMPAGNES, 1882-1915 (2001) ;

 

ORUNO D. LARA

MORTENOL

UN COLONISÉ EXEMPLAIRE, 1856-1930 (2010).

 

Il a été question que j’intervienne en personne sur le plateau de la télévision jeudi prochain, mais des événements survenus à La Réunion ont modifié le programme des Informations. Mon intervention consistera à répondre aux questions posées sur MORTENOL par un journaliste (« grand reporter ») appartenant à la rédaction de France Ô. L’entretien s’effectue le mercredi 21 novembre, au siège de la maison rue Danton.

 

MORTENOL ne se laisse pas dépouiller de ses secrets, de ses mystères, sans qu’on puisse s’investir historiquement dans chacune des cinq séquences de son existence : son enfance en Guadeloupe (1856-1876), ses études à Bordeaux et à l’École Polytechnique (1876-1882), sa carrière d’officier de marine (octobre 1882 - 5 juillet 1915), son passage au CRP : camp retranché de Paris (10 juillet 1915-armistice de 1918) et ses années de militantisme de 1920 à 1930.

Pourquoi m’être tant investi dans des investigations concernant MORTENOL ?

Ma grand-mère m’avait confié, alors que j’avais une dizaine d’années et qu’elle évoquait son enfance passée près de son oncle Gaston GERVILLE-RÉACHE, le député de la Guadeloupe de 1880 à son décès en 1904. Selon Agathe RÉACHE, l’épouse de mon grand-père ORUNO LARA (1879-1924), je ressemblais à cet oncle qui prenait sur ses genoux la petite fille de six ans qu’elle était en 1890. L’année où elle tomba amoureuse d’un lieutenant de vaisseau qu’elle aperçut chez ses parents. C’est bien plus tard que je compris qu’il s’agissait de MORTENOL, venu en Guadeloupe en permission de décembre 1889 au 1er février 1890.

Par ailleurs mon père et son frère, étudiants à Paris depuis septembre 1928, ont eu l’occasion de rencontrer l’officier qui les reçut chez lui, dans son appartement de la rue François Coppée dans le XVe arrondissement de Paris. Mon père avouait quelquefois son ancienne passion pour la mer, une lointaine aspiration à devenir officier de marine quand il était jeune. De retour en Guadeloupe, son diplôme d’ingénieur en poche, il possédait alors une collection de livres consacrés à la marine de guerre et j’ai dévoré les récits de Paul CHACK ainsi que les aventures des navigateurs arabo-musulmans qui sillonnaient les mers du globe et qui organisèrent une grande flotte de jonques chinoises pour se rendre en Afrique. J’appris également que des marins avaient participé à la défense de la capitale pendant la guerre de 1870. L’influence de MORTENOL est indéniable chez mon père qui finit par choisir une école d’ingénieur plutôt que l’École Navale, ayant appris me disait-il, l’obligation faite au commandant d’un navire qui sombrait, de demeurer sur la passerelle et de disparaître avec son bâtiment. Pour lui, mon père, il n’était évidemment pas question de mourir en ne quittant pas son poste de commandement et en se laissant entraîner dans les profondeurs marines avec son vaisseau. Je pense, plus prosaïquement, connaissant bien le personnage, qu’il n’était pas du tout fait pour passer sa vie en mer, car il n’avait pas le pied marin. Dès qu’il embarquait sur un paquebot, un mal de mer le clouait sur une couchette sans rémission, pendant toute la traversée.

Mon oncle Me Renerville Jean LARA RÉACHE me racontait la carrière de MORTENOL, du moins ce que cet officier leur avait dit : ses fréquentes sorties en mer, en Méditerranée ou en Atlantique, avec la flotte, des navires de guerres qu’il commandait en chef, ses aventures de marin. Ainsi lui arriva-t-il aux abords des États-Unis, au large de New York, voulant « charbonner », il dépêcha un aviso près des autorités de l’État fédéral pour demander l’autorisation de se rendre dans un port où il serait possible de charger les soutes à charbon de ses cuirassés. Réponse affirmative, puis négative, ajouta-t-il, des autorités nord-américaines, après avoir appris que le commandant en chef de l’escadre était un nègre…

Un tel récit de MORTENOL, fidèlement rapporté par mon oncle, me laissa longtemps songeur, je l’enregistrai dans un coin de ma mémoire. Ni mon père, ni son frère, ne tentèrent devant moi, de critiquer cette version propagée par l’ermite du XVe arrondissement de Paris.   Jusqu’à ce que je puisse pénétrer moi-même et être de plain-pied dans l’Histoire. MORTENOL et ses mystères devinrent alors pour moi un sujet d’études, d’interrogations et de préoccupation, qui ne m’ont jamais quitté tout à fait. Je pense avoir répondu à plusieurs de ces questions qui m’obsédaient, mais je demeure convaincu qu’il y a encore des zones d’ombre que je n’arrive pas à interpréter. Je suis donc encore songeur, essayant de comprendre, de réfléchir en faisant appel à la psychologie et à l’Histoire, voire à la psychanalyse et la psychiatrie en qui j’ai une confiance très limitée. Sous l’objectif, un homme qui a du affronter bien des difficultés pour survivre dans ce milieu de militaires professionnels de la « Royale » où l’ont plongé de force quelques individus que je ne suis pas encore arrivé à dénombrer.

Au vrai, il semblerait que MORTENOL ait été la victime à demi consentante d’une étrange expérience.

Victor SCHŒLCHER et des amis – on y compte ALCINDOR, BLANCAN, CADER, J. Charles ROUBEAU et Ernest LADMIRAL, deux négociants, certainement, peut-être Gaston GERVILLE-RÉACHE, voire le gouverneur COUTURIER, trop investi dans cette affaire pour échapper à notre défiance - prennent en décembre 1870 la décision de sélectionner pour ses capacités intellectuelles un enfant nègre venant des masses populaires. Ils le placent dans des conditions d’études réservées aux héritiers et aux boursiers des classes aisées et voient jusqu’où il irait dans l’existence. À cette époque, à Paris, SCHŒLCHER, rentré de Londres, occupe de hautes fonctions et fréquente Henri WALLON, ministre d l’Instruction Publique et des Cultes et le vice-amiral FOURICHON, ministre de la Marine qui l’aident à inscrire son protégé, à obtenir une bourse et un voyage gratuit, pour qu’il se rende à Bordeaux terminer sa scolarité au lycée Montaigne et préparer les concours des grandes écoles.

Au point de départ de cette expérience, deux nègres de Guadeloupe : André, esclave né en Afrique vers 1809, libéré en 1847, marié avec Julienne TOUSSAINT en 1855. Le couple a trois enfants, Eugène, André, né en 1856, Marie Adèle, née en 1858 et Sosthène Héliodore Camille, né en 1859. Ce dernier scolarisé jusqu’à douze ans, devient voilier comme son père et meurt à Pointe-à-Pitre en 1885, âgé de 25 ans. L’aîné Eugène André, brillant élève, poursuit des études élémentaires à Pointe-à-Pitre jusqu’en 1870, puis on l’inscrit en janvier 1871 au séminaire-collège de Basse-Terre. C’est à ce moment que s’opère discrètement le changement d’identité par substitution des prénoms : André Eugène devient Camille, Sosthène, Héliodore.

Bénéficiant de ce rajeunissement, il obtient – en redoublant - des notes brillantes et se détache du lot, ce qui le projette dans une existence programmée par ses tuteurs.

Pourquoi la Marine ? Pourquoi l’École Polytechnique ?

SCHŒLCHER et après lui GERVILLE-RÉACHE, ne perdent pas l’espoir d’obtenir le portefeuille de ministre de la Marine et des Colonies. À ce poste clé, ils pourront veiller au déroulement de la carrière de leur protégé. Au début, SCHŒLCHER ne pensait qu’au concours de l’École Navale. Or depuis 1871, l’École Polytechnique offre une bourse annuelle aux élèves du séminaire-collège et une fois à l’École, le jeune MORTENOL aura la possibilité à sa sortie, selon son rang, de choisir d’intégrer la marine par une passerelle prévue depuis quelques années. Effectivement, sorti de l’X, il embarque en octobre 1882 sur la frégate Alceste et commence une carrière d’officier qui le conduit au grade de capitaine de vaisseau en 1912. Autant le dire immédiatement, une carrière médiocre dans la Marine de guerre. Les amiraux qui l’encadrent, s’étonnent de sa présence et ne pensent qu’à l’exclure. Or, contrairement au projet initial, MORTENOL est seul devant une kyrielle de chefs qui ne lui font pas de cadeau, l’utilisent comme officier torpilleur, l’exploitent dans les campagnes de conquêtes coloniales en Afrique, Madagascar, Indochine (Cochinchine et Tonkin) mais veillent à ne lui accorder aucun commandement à la mer. En outre, s’il a pu s’inscrire aux écoles de torpilles de Toulon et des Défenses Sous-Marines de Brest, on lui interdit d’entrer à l’école supérieure de la Marine, qui fournit des officiers d’État-Major, les futurs amiraux.

Au début de la Grande Guerre, la Marine suivant la tradition de 1870, envoie le C.V. Alphonse MORACHE à Paris près de GALLIÉNI qui entreprend d’organiser la défense du camp retranché de Paris (C.R.P.). Un an plus tard, MORACHE, qui veut reprendre la mer, obtient le commandement du cuirassé le Gaulois, dans le projet des Dardanelles. Une place se libère à Paris, la Marine en profite pour se débarrasser de MORTENOL et l’envoie à GALLIÉNI le 5 juillet 1915.

Le 10 juillet, une nouvelle carrière s’ouvre à MORTENOL : il remplace MORACHE et poursuit l’organisation de la D.C.A. du C.R.P..

Dès lors, les jeux sont faits. MORTENOL s’attelle à sa nouvelle tâche de défense de la capitale : rassembler les canons, les mitrailleuses et les gros projecteurs de marine ; créer un réseau de surveillance téléphonique autour de la capitale pour avertir le poste central de l’arrivée des Zeppelins, des Tauben et des Gotha, ces bombardiers qui laissent présager les gros porteurs du futur. À mesure que la guerre progresse, il découvre la nouveauté de sa mission. À quoi doivent servir, par exemple, ces énormes projecteurs tirés des cuirassés ? À éclairer le ciel pour distinguer les appareils ennemis ? À la fin de la guerre, les pilotes allemands auront beau jeu d’observer que cet éclairage de nuit des projecteurs les orientait et favorisait leur missions de bombardement en balisant leurs trajectoires et leurs cibles.

En mai 1917, atteint par la limite d’âge, MORTENOL doit partir à la retraite. La marine, qui voudrait qu’il s’en aille définitivement, souhaiterait le retour de MORACHE. Impossible. Le capitaine de vaisseau, qui a perdu son bâtiment, est entendu par une cour martiale qui ne le ménage pas. C’est alors que l’armée de terre décide de conserver MORTENOL et de le promouvoir au grade de « colonel d’Artillerie dans la Réserve ». Ce qui peut paraître surprenant, c’est cette nomination de colonel dans le cadre de la Réserve. Or, faut-il le souligner, selon les tableaux comparatifs de grades correspondant Marine et Armée de Terre, un capitaine de vaisseau est un colonel de plein droit. Or MORTENOL est C.V. depuis 1912.

L’ensemble du service de la Défense du Camp Retranché est placé en septembre 1917 sous les ordres du général RENAUD. MORTENOL apparaît comme son second dans le diagramme de la hiérarchie militaire. Or, le colonel RENAUD a été nommé général de brigade pour occuper ce poste. Pourquoi n’avoir pas pensé à MORTENOL, polytechnicien, présent depuis juillet 1915, colonel de plein droit depuis 1912, et le faire passer au grade de général de brigade pour entrer en fonctions comme chef incontesté du C.R.P. ? Les grands chefs de la Grande Guerre  tels que JOFFRE et FOCH étaient polytechniciens et avaient une priorité absolue sur les autres officiers. Pourquoi a-t-on préféré RENAUD à MORTENOL ?

Je pose la question non pas pour provoquer un débat et tenter d’y répondre, car je connais la réponse.

À la fin de l’interview, comment répondre aux deux questions posées : que représente MORTENOL pour la Guadeloupe ? Que représente-t-il pour moi, historien ?

C’est sans doute le moment tant attendu de jouer de la grosse caisse, de klaxonner sa fierté, son patriotisme… Et dans ce cas précis, pourquoi ne pas brandir comme certains artilleurs auteurs, une batterie de klaxons dont le nombre serait bien supérieur aux cinq exemplaires de klaxon de taxis parisiens des années 20 choisis par GERSHWIN pour figurer dans l’orchestration de son « Américain à Paris ». Je prends mon temps pour réfléchir et je finis par leur conseiller – aux journalistes - de se rendre à Paris, de filmer et de montrer au public la rue du Commandant MORTENOL, dans le Xe arrondissement de Paris, inauguré par le président CHIRAC. Au vrai, un porche, un sombre porche qui résume, sans fioriture, sans discours intempestif, la réalité politique de cette célébration. C’est mon intime conviction.

Interrogé, j’ai du répondre brièvement, en tenant compte du temps octroyé à cette interview. Les journalistes de France Ô ont effectué par la suite un montage, qui passant aux informations du vendredi 23 novembre, avait le dernier mot, écorchant au passage le prénom hérité de mon grand-père ORUNO, un combattant lui aussi de 14-18.

J’avais eu l’occasion de dire et de souligner pendant l’entretien que MORTENOL, le véritable, celui qui repose au cimetière de Vaugirard après avoir été « ancien élève de l’École Polytechnique », capitaine de vaisseau et colonel d’Artillerie dans la Réserve, cet officier est né en 1856 et il meurt à Paris en 1930, le 22 décembre. Or j’entends distinctement une voix qui me coiffe au poteau et affirme en conclusion, de manière péremptoire : « MORTENOL né en 1859 ».

Afficher une telle date à la fin du parcours télévisuel, n’est-ce pas retomber dans la Vulgate, la chimère, la légende, alors que cette célébration est l’occasion de dégager MORTENOL de son sarcophage de diorite et de le faire connaître au public sans artifices, en lui ôtant ses bandelettes, ses oripeaux et en lui offrant, enfin, la possibilité d’exister libéré de ses entraves…Affirmer une telle erreur, m’incite à clore mon interview et à mettre l’accent sur un point d’histoire fondamental :

MORTENOL honoré à l’Arc de Triomphe est un soldat né en Guadeloupe le 7 juin 1856.

 

ORUNO D. LARA

Docteur d’État Histoire Moderne & Contemporaine

CERCAM (CENTRE DE RECHERCHES CARAÏBES-AMÉRIQUES)

23 novembre 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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